Les règles qui nous font réfléchir

Si je révise un texte, dois-je suivre les règles, ou non ?

« Oui, mais pas toujours. »

Ne faites pas les gros yeux ! Je vous explique.

D’abord, savoir de quoi on parle. Dans ma question, quand je parle de suivre les règles, je parle des règles de grammaire, d’orthographe, d’usage… Les règles qu’on consulte dans les dictionnaires, les grammaires, les sites web reconnus… Je n’ai pas envie de toutes les compter, mais je sais qu’il y en a beaucoup.

J’en ai fait trois catégories pour (tenter de) simplifier :
  1. Il y a les règles très strictes, celles qui sont unanimes dans tous les dictionnaires et grammaires. « C’est toujours comme ça, il n’y a pas d’exception, un point c’est tout. » Honnêtement, qui s’obstinera sur le pluriel du nom « ami » ? On dit « des ami » ou « des amis » ? Ces règles-là sont strictes, claires et sans équivoque. Je me pose rarement des questions à leur sujet.
  2. Il y a les règles flottantes, celles qui sont résolues d’une façon dans certains ouvrages, et autrement dans d’autres. « C’est parfois comme ci, parfois comme ça, et il existe telle et telle exception. » Ce sont les règles les plus courantes (parce que le français est une langue d’exception, avouons-le !). Je dois alors choisir entre le comme ci et le comme ça. Les règles flottantes nous amènent à réfléchir, mais la réponse est souvent évidente dans le contexte, parce qu’elle est la mieux adaptée.
  3. Il y a finalement les règles pas-claires, celles qui donnent des maux de tête. Celles qui nous font hésiter parce qu’elles ne reflètent pas la réalité. « Le dictionnaire me dit de dire ceci, mais l’usage me dit de dire cela. J’entends plein de monde dire cela, pourquoi ne pourrais-je pas aussi l’écrire ? » C’est cette catégorie qui m’amène parfois à contourner les règles établies. Pourquoi ? À cause de ma vision de la langue et de son évolution.
Un exemple vous aidera à comprendre : le mot « look ». Comme dans « Ce tapis donne un look vieillot à mon salon. » Je vous place en contexte : cette phrase fait partie d’un texte web d’une femme qui a voyagé et qui a rapporté un tapis pour décorer sa maison. Admettons. C’est écrit à la première personne et le texte se veut éditorial, sérieux, crédible et professionnel. En révisant, je remarque le mot « look ». Et là, je me dis : troisième catégorie, règle pas-claire. Zut.
  • Marie-Éva, dans son Multi, me dit que « look » est un anglicisme et que je dois le remplacer par « allure ou style ».
  • Antidote me dit que « look » relève du registre familier et qu’il signifie « allure, aspect, style qu’une personne se donne ou que l’on donne à quelque chose. Le nouveau look d’une vedette du spectacle. Un journal qui rajeunit son look. »
  • Le Petit Robert me dit que « look » est attesté depuis 1977 et qu’il s’agit d’un mot anglais signifiant « aspect, allure ». Il dit aussi que c’est un anglicisme familier qui veut dire « aspect physique (style vestimentaire, coiffure…) volontairement étudié, caractéristique d’une mode. Il a un drôle de look. ➙ allure, genre. Un look d’enfer. Changer de look. ◆ Image donnée par qqch. ➙ style. »
Réflexion…

Analyse…

Ben là, Caroline, c’est clair me semble ! Les trois ouvrages disent que c’est mieux de dire « allure ou style ». Problème résolu.

Ben non ! Caroline se pose encore des questions ! Parce que son sentiment linguistique lui dit autre chose. (Son sentiment linguistique, c’est ce que son intuition sur la langue lui suggère tout bas dans le creux de l’oreille, en secret…)

Est-ce qu’on entend les gens utiliser le mot « look » lorsqu’ils parlent ? Est-ce qu’on en comprend le sens ? Même si on ne comprend pas l’anglais ? Et est-ce que ce mot vous semble relever du registre familier ? Oui, oui, oui et non. Ben non. Désolée. Moi, quand j’entends quelqu’un me parler du look de son salon, je ne trouve pas qu’il parle mal ou tout croche. Je ne trouve pas qu’il parle dans une autre langue. Je trouve ça normal. Je trouve que c’est un mot normal qui peut être utilisé dans à peu près n’importe quel contexte, même si on est dans une réunion importante avec des gens super importants.

Alors, si je pense que « look » est un mot normal, pourquoi mon questionnement ? Je devrais le conserver dans mon texte et ça devrait s’arrêter là. Mais non ! Je suis tout simplement déchirée ! Voilà. Je suis déchirée entre les règles établies et mon sentiment linguistique. Parce que les trois dictionnaires consultés me disent de le remplacer mais qu’en fait, je trouve que ce mot-là a le droit d’avoir sa place dans le texte. Et pourquoi serait-il exclu, le pauvre ? Pour protéger notre langue d’un vilain mot ? Pour garder notre langue pure ? Sérieusement ?

Et qu’en est-il de l’évolution de notre langue ? Croyez-vous que le français utilisé aujourd’hui est le même qu’il y a 300 ans ? J’espère que non. La langue a évolué depuis ce temps-là. Et évoluer signifie « changer ». Et pour qu’il y ait un changement dans notre langue, on a besoin de deux choses toutes simples : des mots et des personnes qui utilisent ces mots.

Si le Petit Robert, le Multi et Antidote ont envie de taper sur les doigts des gens en leur disant que ce n’est pas correct d’utiliser tel ou tel mot, tant mieux pour eux ! Moi, ce que je dis, c’est que les gens utilisent les mots qui leur plaisent, et c’est ça qui fera évoluer la langue à long terme.

Cela dit, je sais que ma vision n’est pas partagée par tout le monde. Je sais aussi que ma vision convient parfaitement à certains types de clients, des clients qui ont envie de faire parler leur propre réalité, avec des mots qu’ils connaissent. On n’est pas obligé de s’abaisser aux vulgarités, on n’a qu’à énoncer clairement et proprement des concepts qu’on côtoie tous les jours. Avec des mots de tous les jours.

Et dans mes révisions, j’ajoute parfois un commentaire à l’intention du client, sur un mot en particulier, pour attirer son attention. Je ne fais jamais un changement qui relève de ce genre de questionnement sans d’abord en discuter avec le client. C’est trop important pour lui… et pour moi !